Géologie de Claude Abad
Comment ne pas évoquer une terre minérale en ses jardins et portraits, faite de ravinements, de stries, de morceaux ? Chaos qui n'atteint pas la figuration mais touche à l'énigme, interne dans un jeu de miroir des portraits, intime dans l'enclos des jardins, externe dans la déambulation des lieux... Il suffit d'un trait, blanc, ou noir, posé en signature pour donner au tout la profondeur des traces en éclats de soi, de l'autre, du monde. Si le visage ne s'invite pas, pour le moins, c'est tout un pan de présence auquel faire face, où est conviée cette humanité tellurique, entièrement de fragilité et de force, en ses lignes souterraines émergeant à la surface. Humanité impérieuse, sans figure, sans personnage, dans le mystère de la toile : une géologie de notre condition commune.
Au commencement, la terre, donc. Avec l’éclatement des puissances qui la parcourent dans une technique de jets, de gestes, de fulgurances, qui sont propres à l’acte de peindre. La matière s’assemble, s’organise, genèse d’un monde d’où extraire non un fil rouge, mais ce fameux trait blanc, ou noir, signe de la présence, autour de laquelle tout va prendre sens. Après le temps des origines, du jaillissement pur de la création, vient le temps de l’Histoire, celui des recouvrements, de la tectonique des plaques, ou couches après couches, on retranche, pour ne garder que l’essentiel. Tout se met en mouvement pour épouser la trace extraite, retirer de la gangue les merveilles, les détails qui vont donner vie aux portraits, aux jardins, aux lieux : la matière non seulement a pris vie, mais elle a également trouvé sa forme.
Le démiurge de cette peinture-géologie se nomme Claude Abad. Dire que sa démarche est poétique ne se paye pas de mots, elle l’est résolument, en hautes terres fondatrices. Et comme tout idéal digne de ce nom, il se confronte au simple quotidien pour en extraire la quintessence des lieux, des êtres, invoqués dans les titres de ses œuvres, pour rendre hommage sobrement, seulement à l’opulence de la vie, au tamis de l’expérience de sa peinture exploratrice des surfaces comme des profondeurs, de l’évanescence comme de la dureté, et de tout ce qui fait de notre existence un don plus vaste que notre seul passage…