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Jacques Prévert, le poète anarchiste

              Grâce aux chansons et au cinéma, l'auteur libertaire Jacques Prévert a connu très tôt un fort succès populaire, et certaines des paroles qu'il a écrites pour de grands musiciens et compositeurs se sont promenées tant sur les ondes radio que sur les lèvres des passants. Jospeh Kosma, évidemment, mais également Henri Crolla, Walberg, Christiane Verger, Sébastien Maroto, Robert Caby ont posé leurs notes sur ses vers libres, et selon son Anthologie Sonore, « le voyage a commencé à travers les interprètes les plus exigeants qui s'en sont emparés, nous les ont présentés, et nous les avons adoptés. Si « les feuilles mortes » ont fait le tour du monde – il en existe près de six-cents interprétations – combien d'autres nous reste-t-il à découvrir ? Heureusement, pour reprendre les mots du poète, « le temps attend » » :« Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes / Des jours heureux où nous étions amis. / En ce temps-là la vie était plus belle, / Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui. / Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. / Tu vois, je n’ai pas oublié… » (« Les feuilles mortes »)

 

            Issu d'un milieu modeste et ayant frayé dès sa jeunesse avec le milieu surréaliste, le seul texte véritablement autobiographique qu'il tenta d'écrire à ses sept ans s'intitule « Enfance » témoignant de son passé ballotté entre collège religieux et vagabondage. Ce regard à la fois « tendre et cruel », « lucide mais rêveur » irriguant les souvenirs de ces premiers élans jusqu'au portrait de cancre espiègle dressé, dans son recueil à gros tirages, Paroles, connut un même engouement : « Il dit non avec la tête / Mais il dit oui avec le cœur / Il dit oui à ce qu’il aime / Il dit non au professeur / Il est debout / On le questionne / Et tous les problèmes sont posés / Soudain le fou rire le prend / Et il efface tout / Les chiffres et les mots / Les dates et les noms / Les phrases et les pièges / Et malgré les menaces du maître / Sous les huées des enfants prodigues / Avec des craies de toutes les couleurs / Sur le tableau noir du malheur / Il dessine le visage du bonheur. » (« Le cancre »)

 

            Ce véritable aristocrate de la rue, refusant toute démagogie ou toute complaisance, a vu rassemblés dans cet ouvrage fondateur, toutes les saynètes, tous les dialogues, tous les collages, tous les poèmes, bref toutes les « Paroles » dont il s'est fait l'écho depuis les éclats de l'ombre jusqu'à des écrits plus proches de sa reconnaissance en tant qu'artiste. Enclin à une infinie tendresse pour la détresse humaine, certains thèmes comme l'amour y trouvent des formes où la fausse simplicité devient un vibrant éloge de la différence qui fait la dignité d'aimer et d'être aimée : «  Je suis comme je suis / Je suis fait comme ça / Quand j’ai envie de rire / Oui je ris aux éclats / J’aime celui qui m’aime / Est-ce ma faute à moi / Si ce n’est pas le même / Que j’aime chaque fois / Je suis comme je suis / Je suis faite comme ça / Que voulez-vous de plus / Que voulez de moi / Je suis faite pour plaire / Et je n’y puis rien changer / Mes talons sont trop hauts / Ma taille trop cambrée / Mes seins beaucoup trop durs / Et mes yeux trop cernés / Et puis après / Qu’est-ce que ça peut vous faire / Je suis comme je suis / Je plais à qui je plais / Qu’est-ce que ça peut vous faire / Ce qui m’est arrivé / Oui j’ai aimé quelqu’un / Oui quelqu’un m’a aimée / Comme les enfants qui s’aiment / Simplement savent aimer / Aimer aimer… / Pourquoi me questionner / Je suis là pour vous plaire / Et n’y puis rien changer. » (« Je suis comme je suis »)

 

            Si les caractères principaux de son œuvre demeurent « la musique », « l’enfance » ou « l’amour », ce qui en fait la signature ultime se révèle son authentique liberté ! Ayant gardé de l'enseignement religieux « une sainte horreur de la divine comédie des dogmes et des « -ismes » », il n'a eu de cesse de dénoncer l'éducation répressive imposée par un moralisme de convenance ainsi que toutes les formes de « castration mentale » défendue par la bourgeoisie et participant « du mensonge, de l'injustice, de la marche claudicante du monde ». Trop épris lui-même de liberté pour cultiver les adhésions partisanes, sa poésie ne l'oublions pas, ne s'avère pas seulement jeu de langage mais également force corrosive susceptible d'inquiéter les censeurs patentés ! N'est-il pas celui qui affirmé : « Quand la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie. » ?

 

            (Photographie de Jacques Prévert en 1961 dans le film Mon frère Jacques de Pierre Prévert)

 

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