Militant très jeune en faveur de la paix, Paul Éluard compose plusieurs recueils de poèmes célébrant l’amour, notamment ceux assemblés en un seul, en un recueil des recueils, Capitale de la douleur, ensemble de sa création de 1921 à 1926. Comme l’analyse Yannick Mercoyrol dans La bibliothèque du littéraire, « Éluard a donc volontairement assigné à son recueil la fonction de jalon dans son itinéraire littéraire, assumant tout à la fois l’aspect composite de l’inspiration thématique et la variété prosodique oscillant entre vers libres, alexandrins et textes en prose, ordonnant sa créativité à la confluence du lyrisme et du surréalisme. » L’universitaire nous rappelle comment le poème y revêt souvent l’aspect d’un « micro-récit » où se joue en quelques vers une scène, une situation ébauchant des silhouettes de personnages ou de lieux.
Et grâce au pouvoir de son écriture, l’imaginaire semble constituer la seule loi qui gouverne son art dont la signification se trouve alors toujours à inventer par le lecteur confronté à une étrangeté irréductible à un message stable. Dans nombre de pièces, en effet, l’hallucination y joue à fond, et « le sens se dilue dans la théorie du stupéfiant-image : le poète rapproche des réalités incongrues, comme dans le fameux exemple, hérité du Comte de Lautréamont, de la rencontre sur une table d’opération d’un parapluie et d’une machine à coudre, dont le choc suscite une surprise qui amène à saisir une réalité absolument neuve, irréductible au monde réel. » Ainsi jaillit une image alors plus profonde, mise en éclats de l’ordre établi de la représentation !
Pendant la seconde guerre mondiale, le poète surréaliste s'engage dans la Résistance, participant au mouvement clandestin parmi les plus grandes voix de la littérature française, de René Char à Robert Desnos. Son recueil Poésie et Vérité, 1942, s'ouvre sur un hymne à la liberté, l'un des chefs d'œuvre de la poésie d'un tel combat, où l'on voit réapparaître les formes traditionnelles de la litanie et du refrain, redéployant les lois d'une tradition orale dont la révélation du dernier mot trace la signature d'un espoir partagé : « Sur mes cahiers d’écolier / Sur mon pupitre et les arbres / Sur le sable sur la neige / J’écris ton nom // Sur la santé revenue / Sur le risque disparu / Sur l’espoir sans souvenirs / J’écris ton nom / Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer / Liberté »
Poète fervent des espérances renouvelées dans ses écrits les plus politiques, il a signé, sous son pseudonyme Didier Desroches, dans Les Lettres françaises, un poème publié le 28 novembre 1946, grâce auquel il voulait certes échapper aux formes d’écriture demeurant personnelles, mais pour mieux exprimer ce qui fait pourtant la clé de son art, la nécessité vitale d’espérer : « Autant parler pour avouer mon sort : / Je n’ai rien mien, on m’a dépossédé / Et les chemins où je finirai mort / Je les parcours en esclave courbé ; / Seule ma peine est ma propriété : / Larmes, sueurs, et le plus dur effort. / Je ne suis plus qu’un objet de pitié / Sinon de honte aux yeux d’un monde fort. / J’ai de manger et de boire l’envie / Autant qu’un autre à en perdre la tête ; / J’ai de dormir l’ardente nostalgie : / Dans la chaleur, sans fin, comme une bête. / Je dors trop peu, ne fais jamais la fête. / Jamais ne baise une femme jolie ; / Pourtant mon cœur vide, point ne s’arrête, / Malgré douleur mon cœur point ne dévie. / J’aurais pu vivre, ivre de mon caprice. / L’aurore en moi pouvait creuser son nid / Et rayonner subtile et protectrice, / Sur mes semblables qui auraient fleuri. / N’ayez pitié, si vous avez choisi / D’être bornés et d’être sans justice : / Un jour viendra où je serai parmi / Les constructeurs d’un vivant édifice, / La foule immense où l’homme est un ami. » (« La puissance de l’espoir », Tout dire, 1951)