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Guillaume Apollinaire, le peintre des mots

« À la fin tu es las de ce monde ancien » : le premier vers du poème « Zone » inaugurant son recueil intitulé Alcools dit assez combien la modernité était importante pour Guillaume Apollinaire. État des lieux au début du XXème siècle dont il est le témoin, les vers libres de cette dérive dans son époque en font un mélange de civilisation européenne ancienne et de perspectives d’ère nouvelle ouverte par ce temps auquel le poète prend part : « À la fin tu es las de ce monde ancien / Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin / Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine / Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes / La religion est seule restée toute neuve la religion / Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation / Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme / L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X / Et toi que les fenêtres observent la honte te retient / D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin / Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut / Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux / Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières / Portraits des grands hommes et mille titres divers »

Ayant rencontré des peintres, parmi lesquels Pablo Picasso, il explora de nouvelles voies dont les Calligrammes seront l'exemple le plus spectaculaire. Comme l’indique M. Décaudin, dans son article du Dictionnaire universel des littératures, « À partir de 1909, sa réputation grandit. Il est journaliste, critique d’art, participe aux polémiques de l’avant-garde, anime une revue, Les Soirées de Paris (1912-1914), publie L’Enchanteur pourrissant (1909), L’Hérésiaque et Cie (1910), le Bestiaire (1911), Alcools et Les Peintres cubistes (1913). […] La fin de 1913 et 1914 est une période de frénésie d’invention : poèmes conversations, poèmes simultanés, calligrammes, aussi différents des poèmes figurés de la tradition que des mots en liberté futuristes », qui font de lui un peintre des mots. Du calligramme caché « Chantre » parmi les poèmes d’Alcools, « Et l'unique cordeau des trompettes marines », au cri poignant d’appel à la paix de ce calligramme révélé « La colombe poignardée et le jet d’eau » qui sera recueilli en 1918, dans le recueil intitulé Calligrammes, ses « poèmes de guerre et d’amour » révèlent « une liberté d’écriture sans frein » !

Ses complaintes « La Chanson du Mal-Aimé », son poème « Le Pont Mirabeau » où l’eau de la Seine se mêle au sentiment presque lamartinien de la fuite des amours évoquent comment « sous ses avatars successifs, la vie sentimentale [de Guillaume Apollinaire] présente de singulières constantes, [qu’il s’agisse] d’Annie Playden, l’Anglaise qu’il a connue en Allemagne et qu’il va par deux fois relancer à Londres, de Marie Laurencin, à qui l’unit de 1907 à 1912 une liaison orageuse, de Lou (Louise de Coligny-Châtillon) et de la flambée des sens que furent leurs brèves relations, de Madeleine Pagès, à qui il se fiança en 1915 », et on voit le poète « composer peu à peu une image rêvée de la femme aimée (cela d’autant plus facilement qu’Annie, Lou, Madeleine sont éloignées), puis, confronté à la réalité, se croire « mal-aimé » ou renoncer ». La mélancolie imprègne les eaux troubles sous « Le Pont Mirabeau » : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours / Faut-il qu'il m'en souvienne / La joie venait toujours après la peine / Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure / Les mains dans les mains restons face à face / Tandis que sous / Le pont de nos bras passe / Des éternels regards l'onde si lasse / Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure / L'amour s'en va comme cette eau courante / L'amour s'en va / Comme la vie est lente / Et comme l'Espérance est violente / Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure / Passent les jours et passent les semaines / Ni temps passé / Ni les amours reviennent / Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure » Déchirante beauté de sa poésie que nombre d’interprètes ont chantée, parmi lesquels Léo Ferré conférant ainsi à la chanson populaire toute la majesté du style de Guillaume Apollinaire…

(Photographie de Guillaume Apollinaire en 1916)

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