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Blaise Cendrars, le bourlingueur

               « L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamboyer des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres. » : par cette dernière phrase sous sa plume à travers une lettre datée du 21 août 1943 adressée à Édouard Peisson, Blaise Cendrars – de son vrai nom Frédéric Sauser – livre le secret de son nom de poète dans la formule du vœu, tel le Phoenix, de retrouver vie. Cette métamorphose par la poésie fait de l’aventurier au-delà des voyages auxquels il invite à la fois un explorateur des limites et un véritable alchimiste des signes !

            Par la diversité des genres littéraires qu’il a embrassé, tour à tour poèmes, romans, essais, reportages et mémoires, son masque de bourlingueur trouve néanmoins dans l’art poétique un écrin où derrière la figure du marginal touche-à-tout, puisqu’il fut à la fois voyageur, cinéaste, éditeur et homme d’affaires, il trace les lettres capitales d’un agrandissement de la vie, fût-elle dangereuse. D’emblée ses recueils fondateurs se voulurent transcription et sublimation de ses itinéraires « du monde entier au cœur du monde », qu’il s’agisse de la découverte de la modernité à New York lorsqu’il écrit Les Pâques en 1912 ou du chef d’œuvre de poème-tableau qu’il réalisa avec Sonia Delaunay en 1913, Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, errance sans fin de celui qui se définit comme « fort mauvais poète » mais pourtant passeur de la légende de Novgorode dont les mains héritières des allégories baudelairiennes s’envolent « avec des bruissements d’albatros »…

            Cette « invitation au voyage » dans ce véhicule qui mène vers des horizons déchirés avec en écho cette question sans cesse relancée de la jeune prostituée, Jeanne, que le poète a pris sous son aile : « Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? », se fait cri d’amour en l’honneur de cette dernière : « Je voudrais / Je voudrais n’avoir jamais fait mes voyages / Ce soir un grand amour me tourmente / Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France. » Que ce transsibérien ait réellement été emprunté ou non par l’auteur, peu importe en définitive, puisqu’il a via la transfiguration du poème embarqué tout le monde, lui le scribe de ces traversées sublimes, débordé par un univers dont les itinérances signent autant de parcours éperdus : « Voici que bruissent les orages déchaînés / Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés / Bilboquets diaboliques / Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais / D’autres se perdent en route / Les chefs de gare jouent aux échecs / Tric-trac / Billard / Caramboles / Paraboles / La voie ferrée est une nouvelle géométrie »…

            Traducteur de ces mathématiques novatrices de la modernité, Blaise Cendrars, en authentique mage du verbe, aura fait des épreuves de ses épisodes aventureux les mots libérateurs du joyau de son existence. Engagé en 1914 dans une guerre qui lui coûtera la main droite, sa main d’écrivain, il fera de cette blessure l’incroyable chance d’une seconde parturition, renaissance là encore, tel l’oiseau mythologique… Ses romans sont d’abord autant d’exorcismes incandescents de sa vie sauvage, ainsi celui de Moravagine, autre image du double de l’écrivain, étonnante ombre maudite dont il cherche à se déprendre dans un récit témoin de son mal, sa folie, son énergie destructrice, une histoire pleine de bruit et de fureur, et ses mémoires s’avèrent ensuite, comme celui initial de L’Homme foudroyé, l’aboutissement de sa quête transcendant l’œuvre, tel un Temps retrouvé, où l’arche des livres érigée se révèle le salut de l’artiste en Nerval de ce XXème siècle commençant !

               (Photographie de Blaise Cendrars vers 1931 par Jindrich Styrsky)

 

           

 

 

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