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André Chénier, le citoyen dans la mêlée

L’affaire pourrait sembler entendue et le jugement sans appel, le XVIIIème siècle passe pour un âge sans poésie, marqué du sceau même de « l’échec des poètes » ! Une étude plus approfondie de la littérature de ce temps suffit à briser cette idée reçue, et la critique, pour le moins, consent à figurer le parcours d’André Chénier, ce citoyen pris dans la mêlée d’une époque révolutionnaire au goût de sang versé, comme une fulgurance annonçant le romantisme à venir ! Force est de constater cependant que, mort à 31 ans, André Chénier laisse une trace relativement importante dans l’histoire littéraire, aussi bien sur la considération accordée à son œuvre que sur les perspectives qu’elle lançait déjà…

Le jeune poète s’y avère à la fois un amoureux de la beauté antique et un homme de son temps par sa sensibilité et son ardeur civique : il incarne, dans une période de troubles, le poète citoyen, l’homme engagé dans les défis de son siècle, doublé d’un lyrique inspiré et théoricien de la poésie qui n’est pas sans évoquer, à maints égards, Pierre de Ronsard, et préfigurer, dans un destin plus bref, le combat de l’homme-siècle que fût Victor Hugo. C’est qu’il demeure celui qui réhabilita avec vigueur l’inspiration, avant les romantiques, alors que son époque tendait à considérer la poésie comme une technique, un jeu ou un exercice formel. Cette aspiration sincère et ardente, revendiquant un culte de l’art, tel est le trait saillant de ses plus beaux poèmes. Annonçant le souci de l’originalité, son poème au titre suggestif, L’Invention, a gravé pour épigraphe la formule latine : « Audendum est », « Il faut oser ». André Chénier y invite déjà à oser renoncer à une forme d’imitation servile qui risque de tarir tout souffle sincère, toute capacité à inventer, même si le poète, conscient qu’en matière d’art, Grecs et Romains antiques demeureront des modèles irremplaçables, assigne à la poésie d’être à la fois moderne et antique ! Dès lors, la critique retiendra ce vers-clé qui synthétise sa pensée en termes de créativité littéraire : « Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques »…

            Le reste se révèle une vibrante exhortation à l’audace dans cette mission artistique, dans des conseils au « jeune poète » qui semblent préfigurer dans une tonalité plus emphatique la célèbre correspondance allemande des Lettres à un jeune poète de Rainer-Maria Rilke : « Qui que tu sois enfin ; ô toi, jeune poète, / Travaille ; ose achever cette illustre conquête. / De preuves, de raisons, qu’est-il encor besoin ? / Travaille. Un grand exemple est un puissant témoin. / Montre ce qu’on peut faire, en le faisant toi-même. / Si pour toi la retraite est un bonheur suprême, / Si chaque jour les vers de ces maîtres fameux / Font bouillonner ton sang et dressent tes cheveux ; / Si tu sens chaque jour, animé de leur âme, / Ce besoin de créer, ces transports, cette flamme, / Travaille. À nos censeurs, c’est à toi de montrer / Tous ces trésors nouveaux qu’ils veulent ignorer. / Il faudra bien les voir, il faudra bien se taire, / Quand ils verront enfin cette gloire étrangère / De rayons inconnus ceindre ton front brillant. / Aux antres de Paros le bloc étincelant / N’est aux vulgaires yeux qu’une pierre insensible. / Mais le docte ciseau, dans son sein invisible, / Voit, suit, trouve la vie, et l’âme, et tous ses traits. / Tout l’Olympe respire en ses détours secrets. / Là vivent de Vénus les beautés souveraines ; / Là des muscles nerveux, là de sanglantes veines / Serpentent ; là des flancs invaincus aux travaux, / Pour soulager Atlas des célestes fardeaux. / Aux volontés du fer leur enveloppe énorme / Cède, s’amollit, tombe ; et de ce bloc informe / Jaillissent, éclatants, des dieux pour nos autels : / C’est Apollon lui-même, honneur des immortels ; / C’est Alcide vainqueur des monstres de Némée ; / C’est du vieillard troyen la mort envenimée ; / C’est des Hébreux errants le chef, le défenseur : / Dieu tout entier habite en ce marbre penseur. / Ciel ! n’entendez-vous pas de sa bouche profonde / Éclater cette voix créatrice du monde ? / Ô qu’ainsi parmi nous des esprits inventeurs / De Virgile et d’Homère atteignent les hauteurs ! »

             (Portrait d'André Chénier de 1795)

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