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Jean de La Fontaine, le libertin fabuliste

          Le genre de la fable se rattache à des traditions très anciennes, comme le rappelle le poète du XVIIème siècle dans ses propres fables : « Nous devons l’apologue à l’ancienne Grèce » (Fables, Livre III, 1). L’influence d’Ésope, par l’intermédiaire de Phèdre, intervient donc dans l’écriture de Jean de La Fontaine, mais les vérités qu’il énonce alors sont trop souvent considérées telles celles d’un moraliste puisque le corps de ses fables, l’histoire, délivrerait l’âme, la morale. Or si le fabuliste l’affirme : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. », cet enseignement s’avère désormais sous sa plume plus une leçon de vie qu’une exhortation à la vertu, car ce que son auteur préserve souverainement dans son jeu littéraire n’est autre que son regard, sa libre pensée à l’égal de son contemporain Théophile de Viau, mais avec néanmoins peut-être plus de ruses formelles ! En cela peut-être est-il préférable de l’envisager plus en tant que libertin qu’en tant que moraliste. Rappelons donc que cette figure émancipatrice provient du latin libertinus signifiant dans l’histoire romaine « affranchi » : le libertin se révèle être l’esclave de son temps qui parvient à se libérer par sa pensée des conformismes, des règles morales, des lois de la religion de son époque, soit pour la croyance, soit pour la pratique. Cet esprit fort, ce libre penseur célèbrera alors les plaisirs charnels, mais avec un certain raffinement !

L’épicurien prônant la retraite voluptueuse, par sa signature des Amours de Psyché et de Cupidon, a écrit une variation du conte fondateur raconté dans les Métamorphoses d’Apulée, dans laquelle il semble se peindre tel le personnage de Polyphile, celui « qui aimait toutes choses » pour donner à entendre un nouveau credo du plaisir analogue au message placé par Théophile de Viau dans son Élégie à une Dame, invitant à une autre politique du Jardin poussant la distinction de ce plaisir désormais en tout lieu et jusqu’au cœur de la mélancolie : « J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique, / La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien / Qui ne me soit souverain bien, / Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique » (Amours de Psyché et de Cupidon, Livre II)

Cette reformulation d’une politique du Jardin se veut à l’usage des déniaisés confrontés tels « Démocrite et les Abdéritains » aux préjugés dévastateurs du vulgaire, comme le révèle sa fable éponyme : « Que j’ai toujours haï les pensers du vulgaire ! / Qu’il me semble profane, injuste, et téméraire ; / Mettant de faux milieux entre la chose et lui, / Et mesurant par soi ce qu’il voit en autrui ! / Le maître d’Épicure en fit l’apprentissage. / Son pays le crut fou. Petits esprits ! mais quoi ? / Aucun n’est prophète chez soi. / Ces gens étaient les fous ; Démocrite, le sage. » (Fables, Livre VIII, 26)

            Ainsi, le disciple d’Épicure et de Lucrèce ne formule-t-il pas seulement une éthique de la retraite loin du monde et du bruit, en libre penseur, il laisse aussi au lecteur la volupté de savourer le pouvoir corrosif, subversif des Fables, en tant que miroir espiègle de la cour du Roi Soleil pour mieux tendre vers la véracité de l’expression de la dernière fable de son dernier livre : « Magistrats, princes et ministres, / Vous que doivent troubler mille accidents sinistres, / Que le malheur abat, que le bonheur corrompt, / Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne. / Si quelque bon moment à ces pensers vous donne / Quelque flatteur vous interrompt. / Cette leçon sera la fin de ces ouvrages : / Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir ! / Je la présente aux rois, je la propose aux sages : / Par où saurais-je mieux finir ? » (Fables, Livre XII, 19)

             (Portrait de Jean de La Fontaine par Hyacinthe Rigaud en 1690)

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