Né d’une famille protestante dont il a reçu une solide formation, Théophile de Viau a rapidement évolué vers la libre pensée, à la fois spontanément et sous l’influence de Vanini. Compagnon de Des Barreaux, Boisrobert, Mainard, Saint-Amant, groupe de libertins d’esprit ou de mœurs, il s’avère le plus hardi et le plus représentatif de tous. Dans son œuvre poétique, il s’inscrit dans un double héritage, ayant reçu la leçon de Malherbe sans pour autant refuser ce qui lui semble encore juste dans la tradition de Ronsard. Sans fureur iconoclaste, ces deux références ne sont pas balayées dans son art poétique, puisqu’il écrit ces deux vers dans une élégie de 1623 : « Je me contenterais d’égaler en mon art / La douceur de Malherbe ou l’ardeur de Ronsard ». Mais à ses yeux, et Ronsard, et Malherbe sont des maîtres du passé, et l’essentiel de sa poésie réside dans la capacité à être toujours fidèle à sa nature, tout en restant à l’écoute de son temps, attentif à la découverte de soi, avec même une défiance à l’égard de l’imitation, qu’il fustige dans sa « Satire première » : « Car l’imitation rompt notre bonne trame, / Et toujours chez autrui fait demeurer notre âme. / Je pense que chacun aurait assez d’esprit, / Suivant le libre train que Nature prescrit. »
Et si être soi ne saurait se passer d’ouverture aux autres, cette fidélité à soi-même et à l’exercice de sa propre pensée implique de résister aux conformismes et de remettre en question certaines règles. Pour son engagement dans la libre pensée, Théophile de Viau se verra frappé de bannissement dès 1619, mais il rentrera en grâce, sous la protection de Luynes, et si, en 1621, la publication du premier recueil de ses œuvres et la représentation de sa tragédie, Pyrame et Thisbé, le rendront célèbre, il se verra à nouveau poursuivi pour impiété et condamné par contumace à être brûlé vif, en 1623. Arrêté, il comparaîtra devant le Parlement, en 1625, qui ne prononcera contre lui qu’un simple bannissement, et mourra un an après sa libération, probablement d’une maladie engendrée par les privations de sa captivité.
Autre forme d’art poétique qui exaltait sa vie heureuse avant que la société de son temps ne le condamne, son Élégie à une Dame, semble annoncer l’hymne à la Volupté que La Fontaine, le fabuliste contemporain, placera un peu plus tard, à la fin de ses Amours de Psyché et de Cupidon : « Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints / Promener mon esprit par de petits desseins, / Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise, / Méditer à loisir, rêver tout à mon aise, / Employer toute une heure à me mirer dans l’eau, / Ouïr comme en songeant la course d’un ruisseau, / Écrire dans les bois, m’interrompre, me taire, / Composer un quatrain, sans songer à le faire. »
Mais déjà ce qui nourrit la quête du lyrisme personnel de Théophile de Viau, cherchant à s’affranchir des figures de style obligées qui accompagnent le lyrisme frais et sensuel, parfois qualifié d’anacréontique, de la Pléiade, est la volonté d’inventer un langage nouveau pour mieux traduire l’aventure tumultueuse, pleine à la fois d’ivresse et de danger, comme le suggère le poète dès sa variation d’écriture, sa pièce, Pyrame et Thisbé, version tragique de l’amour pastoral si novatrice à son époque grâce à « l’intériorisation de l’action » et « l’éclat du langage » entonnant un hymne au bonheur, mais « un bonheur brisé »… De quoi se tenir à la hauteur du défi d’écrivain affiché dans son Élégie à une Dame et se révéler résolument moderne : « Il faudrait inventer quelque nouveau langage, / Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux / Que n’ont jamais pensé les hommes et les Dieux. » Recherche d’absolu où la plainte du poète semble, dans La Maison de Sylvie, prendre l’envol du rossignol après « une trop brève carrière sur terre », témoignage de ce bonheur tout simple d’exister qui a fui : « Ainsi finit ses tons charmeurs / L’oiseau dont le gosier mobile / Souffle toujours à nos humeurs / De quoi faire mourir la bile, / Et brûlant après son dessein, / Il ramasse dedans son sein / Le doux charme des voix humaines, / La musique des instruments / Et les paisibles roulements / Du beau cristal de nos fontaines. »
(Portrait de Théophile de Viau gravé par Pierre Daret, Paris, Musée Carnavalet, XVIIème siècle)