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 François de Malherbe, le grand classique

            Dans son Art poétique, véritable théorie de l’art classique, Nicolas Boileau salue l’avènement de François de Malherbe par un vibrant hommage : « Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, / Fit sentir dans les vers une juste cadence, / D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, / Et réduisit la muse aux règles du devoir. » (I, v. 131-134) Sa légende personnelle tient aussi à quelques formules dont ses disciples se font l’écho : « arrangeur de syllabes » (Racan, Vie de Malherbe), « docteur en langue  vulgaire » ou « vieux pédagogue de la cour » (Guez de Balzac), formules qui ont nourri son mythe, dans lesquelles il ne convient pas de chercher une poétique, mais seulement une réaction, où contre la poésie savante accueillant toutes les richesses de l’invention, le poète s’est posé en authentique chef d’école, en fondateur d’une tradition d’artisanat poétique, qui amènerait à considérer son œuvre comme un point de départ absolu !

            Mais un questionnement préalable s’impose : a-t-il existé une école malherbienne ? Quelle fut l’influence de François de Malherbe sur l’évolution de la poésie française ? Et si dans la vie littéraire du XVIIème siècle, le terme d’école ne s’avère pas adéquat, François de Malherbe n’a laissé aucun art poétique, aucun manifeste qui fixerait sa doctrine. L’emprise réelle de ses idées esthétiques sur sa génération s’accompagne néanmoins d’une opposition très forte chez les épigones ou les derniers admirateurs de la Pléiade, car il faut reconnaître que François de Malherbe par ses prises de positions et ses repentirs porte la responsabilité d’avoir placé la poésie sous le double signe de la raison et de l’éloquence. C’est dans cette orientation classique que s’exerce sa recherche au triple niveau du lexique, de la syntaxe et de la métrique, à travers laquelle, contrairement aux anciens poètes de la Pléiade, aux créations verbales, il préfère le vocabulaire reçu, sans caractère spécifique ou savant, d’où le reproche de prosaïsme : refusant les licences poétiques, il choisit la structure de la phrase obéissant à une respiration naturelle, soulignée par les rythmes et les accents de sa versification...

            Il demeure en réalité une grande figure lyrique qui a actualisé les grands lieux communs, l’amour, la vie, la mort, le temps. Mais sa poésie n’en est pas pour autant trop impersonnelle, et si l’expression du « je » est rare, sa parole poétique formulant avec justesse les émotions vécues, sa fibre délicate, dans l’écrin stylistique qu’il s’est forgé, ainsi filtrée et maîtrisée, anime le vers, attribuant à la strophe élan et souffle. S’il s’est donc interdit l’exacerbation d’un lyrisme trop personnel, par exemple, la mort de son fils, assassiné en 1627, arrache au vieillard une plainte douloureuse et indignée, sans recours à la mythologie, sans recherche aucune, où l’homme se révèle tout entier dans la vérité de son tempérament : réservé, raisonneur, mais sensible : « Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle, / Ce fils qui fut si brave et que j’aimai si fort, / Je ne l’impute point à l’injure du sort, / Puisque finir à l’homme est chose naturelle ; / Mais que de deux marauds la surprise infidèle / Ait terminé ses jours d’une tragique mort, / En cela ma douleur n’a point de réconfort, / Et tous mes sentiments sont d’accord avec elle. / Ô mon Dieu, mon Sauveur, puisque, par la raison / Le trouble de mon âme étant sans guérison, / Le vœu de la vengeance est un vœu légitime, / Fais que de ton appui je sois fortifié : / Ta justice t’en prie, et les auteurs du crime / Sont fils de ces bourreaux qui t’ont crucifié. »

            Cette retenue exemplaire, ce goût exigeant oriente la poésie française vers un idéal de pureté, une forme de concision, une unité de ton, une universelle dignité, dont l’influence ne s’étend pas seulement au XVIIème siècle, puisque tous les poètes soucieux du détail de leur propre art, dont Paul Valéry qui s’affirme en héritier de celui qui fit sonner « la corde la plus tendue de la lyre », se voient confrontés à ce noble souci de la forme. Au XIXème siècle, Charles Baudelaire lui-même écrit dans L’Art romantique : « Je connais un poète, d’une nature toujours orageuse et vibrante, qu’un vers de Malherbe, symétrique et carré de mélodie, jette dans de longues extases. ». À quoi, il convient d’ajouter qu’au XXème siècle, le résolument moderne Francis Ponge, dans son engagé Pour un Malherbe, rappelle combien le mythe du grand classique de notre langue s’avère porteur : « Le moindre fragment ou tronçon de lui nous apparaît comme le tronc véritable, oui, plus que le socle, le tronc de la littérature, voire de la langue et donc de l’esprit français. »

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