Persona non grata, marginal, voleur et criminel, la réputation de François Villon sent le soufre. Issu d’une famille pauvre à Paris, orphelin de père, mais inscrit à la faculté des arts de Paris, il mène une existence oisive et aura une première fois maille à partir avec la justice, en juin 1455, après avoir blessé mortellement un prêtre ! Il décidera alors de s’enfuir puis obtiendra des lettres de rémission et reviendra à Paris en janvier 1456. La même année, la nuit de Noël, il commettra un vol avec effraction au collège de Navarre, en compagnie de quatre complices, et de nouveau, il prendra la fuite…
Il vivra alors des années d’errance et on le retrouve, pendant l’été 1461, en prison à Meung-sur-Loire, sous l’autorité de Thibaut d’Aussigny, évêque d’Orléans. Libéré le 2 octobre, grâce à l’entrée joyeuse de Louis XI dans la ville, il rentrera à Paris, mais il ne tardera pas à repartir sous les verrous car inculpé, en novembre 1462, pour le vol du collège de Navarre, et incarcéré au Châtelet. Relâché après sa promesse de rembourser cent vingt écus au collège, il sera impliqué à la fin du même mois dans une rixe au cours de laquelle François Ferrebouc, notaire pontifical, sera blessé par un de ses compagnons : une nouvelle fois arrêté, il se verra torturé et condamné à la pendaison. Il fera alors appel de la sentence et, le 5 janvier 1463, le parlement de Paris commuera la peine en dix ans de bannissement. Il quittera Paris les jours suivants, et disparaîtra définitivement, sans plus laisser de traces…
Quantitativement peu considérable, son œuvre, par-delà bien et mal, résonne comme un cri du cœur et fait de leur auteur une figure presque romantique. Son chef d’œuvre, qui pourrait ainsi se lire comme une épitaphe, demeure la Ballade des Pendus, à travers laquelle le condamné à mort, du fond de son angoisse, en appelle au pardon et à la fraternité humaine, dès sa formule inaugurale, par-delà la frontière qui le sépare des gens de bien : « Frères humains, qui après nous vivez, ». La description macabre des pendus rongés par les rapaces sonne alors en appel à la pitié : « La pluie nous a débués et lavés, / Et le soleil desséchés et noircis. / Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés, / Et arraché la barbe et les sourcils. / Jamais nul temps nous ne sommes assis / Puis çà, puis là, comme le vent varie, / A son plaisir sans cesser nous charrie, / Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre. / Ne soyez donc de notre confrérie ; / Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! »
Cette figure du Moyen-Âge du poète-voyou en annonça d’autres à venir, parmi lesquelles il est loisible de relever, dans le siècle dernier, celle de Jean Genet, cet auteur dramatique, né également à Paris, enfant de l’Assistance publique, qui connut très jeune la maison de redressement, l’évasion, la légion étrangère, la désertion et la vie errante à travers l’Europe d’un voleur homosexuel et prostitué… Jean-Paul Sartre qualifia ce dernier de Saint Genet, comédien et martyr selon le titre qu’il attribua en 1952 au premier tome de ses œuvres complètes chez Gallimard. Parmi elles, ce premier texte écrit à Fresnes en 1942, Le Condamné à mort, long poème en alexandrins à la gloire d’un ami guillotiné dont le lyrisme n’est pas sans évoquer son obscur prédécesseur : « Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour. / Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes. / On peut se demander pourquoi les Cours condamnent / Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour. »
(Portrait présumé de François Villon dans la plus ancienne de ses oeuvres éditées par Pierre Levet en 1489)