La philosophie stoïcienne dont l’ascèse mène les disciples, tels Lucilius auquel le sage Sénèque écrit une lettre afin de le former, à distinguer « ce qui dépend de nous » de « ce qui ne dépend pas de nous » nous montre que nombre de choses que nous croyons des biens, la santé, la renommée ou l’argent, ne sont qu’illusions du bonheur, tandis que cette emprise que nous avons sur nous-mêmes et sur le monde, cette dimension transitoire que se révèle le Temps, s’avère, quant à elle, un bien véritable aussi précieux qu’éphémère, passage dont nous sommes les passagers si fugitifs, sans que la vie ne laisse de trace…
« Toute chose, Lucilius, est à autrui, le temps seul est à nous ; c’est l’unique bien, fugace et glissant, dont la nature nous a confié la possession »
(Sénèque)
Il n’est pas étonnant que ce soit à travers l’écriture de ce qui s’avère peut-être la première forme d’autobiographie de la littérature occidentale, que le thème du Temps, le temps passé, le temps qui passe, le temps qui passera prenne une dimension si centrale et si dense puisqu’elle se montre constitutive de la personne de son scripteur inscrivant lui-même ses Confessions dans ce sillage d’une temporalité formatrice tant de sa personnalité que de sa conversion, et s’il appartient au lecteur de se tourner ou non vers ce Mystère plus grand que serait Dieu, il est un secret déjà que le langage dans sa quête de définitions achevées ne parvient jamais à résorber entièrement, ce n’est rien moins que le Temps, évidence sans la parole, énigme à dire, indicible au creuset de la vie-même…
« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. »
(Saint Augustin)
Le « gai savoir », cette science nietzschéenne de la vie qui s’avère un véritable art de vivre, sait faire la part entre la mémoire et l’oubli pour trouver sa part la plus joyeuse, la plus alerte, la plus belle à ce mode d’être dans sa relation au Temps déchristianisé de sa mise en perspective d’un passé peccamineux, part maudite dont l’être humain serait toujours en dette, depuis les origines de l’humanité, mais dont nulle rédemption ne résiderait dans le ressassement des fautes commises à travers une mauvaise conscience judéo-chrétienne qui n’est que morale d’esclaves, en vue d’un futur réparateur, tandis que la faculté à l’oubli, à se détacher du remords du passé ou de la crainte de l’avenir, donne toute sa dimension libératrice au présent en cadeau de joie possible par ce silence de l’âme noble affranchie des ressacs des regrets, bonheur de l’instant goûté dans tout son suc, intact…
« Celui qui ne sait pas se reposer sur le seuil du moment, oubliant tout le passé, celui qui ne sait pas se dresser, comme le génie de la victoire, sans vertige et sans crainte, ne saura jamais ce que c’est que le bonheur »
(Nietzsche)