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Robert Desnos, le rêveur libre

« En définitive, ce n’est pas la poésie qui doit être libre, c’est le poète » affirma en 1942 l’auteur de La liberté ou l’amour et combien le tissage entre la vie et l’œuvre de Robert Desnos donne de la portée à son assertion ! Véritable prophète « parlant surréaliste à volonté » selon André Breton, écrivain de poèmes d’amour « aussi beaux que ce que vous pouvez connaître de plus beau dans le genre, Baudelaire ou Ronsard » selon Antonin Artaud, « Le faiseur d’épopées et le poète populaire » selon Michel Leiris, cet autre aventurier surréaliste sut renouveler l’imaginaire et le lyrisme amoureux, en faisant sien le vœu de ré-enchanter le monde jusque dans les circonstances les plus tragiques de son existence où l’histoire personnelle s’est vu fauchée par la Grande Histoire sans que ce dernier ne lui laisse cependant le dernier mot !

Par son appel à déployer un univers rendant vraiment heureux, il n’est pas jusqu’à la plus étudiée et plus populaire de ses Chantefables qui ne soit une exhortation à se réapproprier sa capacité à l’imagination pour magnifier le réel : Eh ! Pourquoi pas ? pour reprendre la question finale de La fourmi : « Une fourmi de dix-huit mètres / Avec un chapeau sur la tête, / Ça n’existe pas, ça n’existe pas. » D’autres, par le hasard du croisement entre l’écrit et l’existence, semble annoncer tragiquement le sort qui sera celui du poète résistant, telles Le zèbre où la volonté d’ « un air joyeux » côtoie « l’ombre du grillage » !

 Le libre rêveur trouve dès 1922, dans l’aventure du surréalisme, un vaste champ d’expérimentation et de transfiguration onirique pour le langage qu’il s’applique à inventer, par exemple dans les sentences malicieuses de Rrose Sélavy, véritable hymne à Éros à travers ce double fantasmé, qu’il doit à Marcel Duchamp qui créa ce personnage féminin qu’il s’amusa à incarner sous l’œil photographique de Man Ray, et dont Robert Desnos grava la devise : « DEVISE DE RROSE SÉLAVY : / 53. Plus que poli pour être honnête / Plus que poète pour être honni. » Il y célèbre l’érotisme triomphant jusque dans les relectures des classiques du romantisme, tels Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire : « 99. Les caresses de demain nous révéleront-elles le carmin des déesses ? » Chantre d’un tel Amour Réinventé, l’écriture, en 1926, d’À la mystérieuse, signera parmi les plus belles pages de la poésie amoureuse, notamment le poème néo-romantique « J’ai tant rêvé de toi » : « J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. »…

          Signe manifeste de cet élan d’amour du poète libre, jusque dans l’enfer des camp de Terezin, l’une des dernières lettres qu’il a envoyée par ce mélange pudique de silence de l’horreur et de générosité absolue reste d’un lyrisme déchirant où l’intime côtoie l’universel : « Mon Amour, / Notre souffrance serait intolérable si nous ne pouvions la considérer comme une maladie passagère et sentimentale. Nos retrouvailles embelliront notre vie pour au moins trente ans. » Avec une infinie délicatesse, l’écrivaine Ysabelle Lacamp fera, dans Ombre parmi les ombres, le récit haletant de ces derniers instants vécus de Robert Desnos : mai 1945, à la libération du camp de Terezin, un rescapé des camps de la mort au regard bienveillant croise un visage, celui du dernier enfant survivant de Terezin. Cet homme s'appelle Robert Desnos. Comme un grand frère protecteur, le poète résistant qui se meurt trouve encore une fois les mots. L’auteur nous convie à cette rencontre bouleversante où la poésie triomphe de la barbarie. En témoignent les dernières lignes de cet ouvrage mêlant fiction et réalité, toutes dédiées à la parole de l’enfant rescapé, rendant ainsi un vibrant hommage au poète disparu : « Au petit matin, tu as pris la route buissonnière vers un nouveau lieu sans verrou. / Il paraît que tu as soulevé une paupière et que tu as dit en souriant que c'était ton matin le plus matinal. »…

            (Photographie de Robert Desnos en 1924)

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