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Andrée Chédid, souffle libérateur

           « Si vous voulez, la poésie aussi est une manière de libération. Et je crois que dans ce sens-là, elle parle pour tous ceux qui sont étouffés, par tous ceux dont la voix a été affaiblie à travers les siècles ou à travers les traditions, ou à travers des prisons de toutes sortes. Alors je crois que la poésie est un levier de liberté aussi. Je crois qu’elle nous permet de nous connaître dans notre nudité, enfin dans tout ce que nous avons de plus profond. Et la femme aussi essaie de parler sa propre parole, comme chacun de nous. Nous sommes tous pris dans des quantités de barrières, et de prisons et de cloisons. Et je crois que la poésie arrive… essaye de percer tout cela. » : c'est en ces termes que l'écrivaine Andrée Chédid livre sa conception de la poésie en 1979, sur Antenne 2, dans l'émission « Aujourd'hui madame : la créativité féminine. ». Romancière, nouvelliste, dramaturge et essentiellement poète, née au Caire, elle a déployé toute une écriture menée par un engagement, celui de la nécessité de l'amour et de la quête d'une humanité rassemblée par-delà les clivages. Portée par l'affirmation inlassable de la toute-puissance de la vie, ces Textes pour un poème comme ces Poèmes pour un texte chantent la salutaire espérance et l'amour des autres...

            « J’ai ancré l’espérance / Aux racines de la vie » note celle qui s'insurge : « Face aux ténèbres / J'ai dressé des clartés / Planté des flambeaux / À la lisière des nuits » et fait le vœu obstiné de l'espoir au cœur de l'existence : « J'enracine l'espérance / Dans le terreau du cœur / J'adopte toute l'espérance / En son esprit frondeur ». Un vers serti dans son tout premier recueil, On the Trails of my Fancy, écrit en anglais et publié au Caire aux éditions Horus, exprime cette espérance entêtée pour « la vie en majuscule » pour reprendre la formule si juste de Jean-Pierre Siméon, dans sa préface du 31 mai 2017 à son ouvrage Rythmes : « Avancer, reprendre joie, défier l’obstacle, peut-être le vaincre, pour aller de nouveau : tels sont nos possibles. » Selon le poète préfacier : « Il exprime, dans cette manière dense, ferme et concise qui est la manière constante de la poésie de Chédid, un parti pris d’existence primordial et sans retour, une vigueur d’être, sans compromis, un appétit foncier de l’ouvert, un vœu irréductible de liberté et déjà, qui sera cent fois repris, l’exposé de l’insoluble équation de l’aventure humaine : le face-à-face de la conscience et de l’illimité, l’affrontement du je avec l’inconnu qu’il porte et qui l’excède. »…

            Son premier recueil de poèmes publié en France en 1949, Textes pour une figure, fut salué par René Char. Andrée Chédid n’eut de cesse ensuite, en alliant visage, parole et mouvements dont les mots tracent la danse entre ses influences orientales et occidentales, de placer le corps au centre de son écriture, comme l’analyse Carmen Boustani dans sa préface à l’ensemble de ses Poèmes : « « L’écriture-corps » honore ses pages. Elle est un moyen d’exprimer un passé viscéral. Elle va « au-delà des murailles » du signifié à la recherche d’une liberté d’expression. Son but est d’aller par-delà les mots pour sécréter la parole. Elle réalise que « le corps, la circulation sanguine, la respiration s’en ressentent ». L’emploi du mot « corps » est polysémique. Elle insiste dans sa poésie et sa prose : corps biologique, corps textuel, corps vivant, corps gisant. Elle présente le corps dans son mouvement et son silence. » Matrice de ces écrits, ce corps-à-corps se tourne vers le visage évoqué dans ses ouvrages, Seul le visage, Visage premier, d’où émane le souffle de sa parole, pierre angulaire de sa poésie, elle qui a fait également de l’expression de René Char : « Aller me suffit » un autre sésame de son mode de création en mouvement, sans recherche d’épilogue, portée par le courant du langage, à la vie, à la mort, elle qui sait établir des ponts justement entre la vie et la mort, dont la démarche peut se considérer comme un passage, à travers le clair-obscur, vers l’ailleurs, dont ses Territoires du souffle témoignent : « Sur le sombre j’aime déverser des arcs-en-ciel. »…

            Palette chatoyante de ses couleurs, ainsi a-t-elle prêté sa plume à son original petit-fils Matthieu Chédid, ayant décrit son « double en utopie », pour transmettre le flambeau de la poésie en partage, de la chanson initiale Je dis Aime : « Je dis Aime / Et je le sème / Sur ma planète / Je dis M / Comme un emblème / La haine je la jette / Je dis Aime, Aime, Aime » à la mélodie s’affranchissant de ce masque premier dans Je me démasque : « Je vais, je viens en compagnie / Avec ce double en utopie / Plus de jeu, plus de masque / Avec mon M toujours en place / Plus de jeu, plus de masque / Lui en dedans, moi en avant » ! Le chanteur évoque avec émotion, dans sa préface à l’anthologie Textes pour un poème de 1949-1991, la tendre complicité l’unissant à sa grand-mère jusque dans ses derniers jours : « Je me rappelle le dernier visage d’Andrée. Je me rappelle la dernière phrase qu’elle m’ait dite… C’était un après-midi dans son appartement de la tour Beaugrenelle. Elle ne parlait plus déjà depuis plusieurs mois. Je lui chantai pour l’unique et dernière fois une chanson, Délivre, que j’avais écrite pour elle, où comme dans sa mémoire le texte s’effaçait. Je me souviendrai toujours de son regard. Où toute sa poésie, son âme étaient contenues. Son regard semblable au regard de mes deux enfants à leur naissance. Son regard et cette larme qui disait tout… Puis soudain, dans ce désert, elle regarda mon grand-père et lui dit : « On invente des chanteurs. » Longtemps, très longtemps avant ce dernier regard partagé, elle avait écrit dans ce poème intitulé Au fond du visage : C’est encore cette lueur / Ta liberté enfouie / Brûlant ses limites / Pour s’évaser devant. » (Matthieu Chédid, novembre 2019)

           (Signature d'Andrée Chédid sur une édition originale de Terre et poésie)

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