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Arthur Rimbaud, le voleur de feu

René Char salua l’art de la fugue du jeune poète, qui l’accompagna sur les territoires d’une nouvelle écriture en prose de poèmes incandescents, de l’exclamation suivante : « Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! » Le géant protecteur commit également une préface à son œuvre, dans laquelle il eut des analyses décisives sur le parcours de comète de son jeune prédécesseur : « Avant d’approcher Rimbaud, nous désirons indiquer que de toutes les dénominations qui ont eu cours jusqu’à ce jour à son sujet, nous n’en retiendrons, ni n’en rejetterons aucune (R. le Voyant, R. le Voyou, etc). Simplement, elles ne nous intéressent pas, exactes ou non, conformes ou non, puisqu’un être tel que Rimbaud – et quelques autres de son espèce – les contient nécessairement toutes. Rimbaud le Poète cela suffit, cela est infini. »

            Il demeure néanmoins une formule, sous la plume d’Arthur Rimbaud, qui reste une hypothèse opératoire pour traverser sa poésie… En effet dans sa lettre du 15 mai 1871, depuis Charleville, le jeune épistolier, alors âgé d'à peine dix-sept ans, s'adresse à Paul Demeny en ces termes : « Donc le poète est vraiment voleur de feu. Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ». Telle est la gageure de sa missive : trouver une langue, pétrie de notre condition, chargée de la parole retranscrite des animaux même, un style propre à l'adolescent prométhéen ! Cette poétique du feu aboutit dans l'écriture, en Mai 1872, dans son poème « L'Éternité », à l'évocation des « braises de satin », ces flammes qui ne consument plus le cœur, sans brûlure intime, douce chaleur des retrouvailles de la mer avec le soleil, harmonie des contraires et temps suspendu dans cette éternité d'un présent radieux à la portée de la vision du poète, retrouvant la précieuse sensation, après « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » pour reprendre l’expression de la même lettre programmatique de ce qui sera l'essentiel de sa parole…

            Cependant, dans la traversée d'Une Saison en Enfer, plus précisément dans la « Nuit de l'enfer », le feu décrit redevient tourment, supplice du condamné dans la phrase : « C'est le feu qui se relève avec son damné. ». Blessure de l'Enfer ou espoir libérateur ? Il semblerait que l'épreuve ne s'achève pas après la nuit du séjour en Enfer... Ainsi, dans l' « Alchimie du verbe », le poète revient avec une lucidité teintée de nostalgie sur un de ses délires, une de ses tentatives d'échappée, son adoration du feu du dieu soleil : « je m'offris au soleil, dieu de feu » note-t-il dans son carnet : offrande expiatoire ou élan lyrique dont il mesure désormais l'inanité ? Le silence est proche, celui du grand départ pour l'aventure en Afrique... Mais, auparavant, à travers ses visions des Illuminations, le jeune aventurier s'embrase encore pour l'aube : « J'ai embrassé l'aube d'été. » avoue-t-il. Éveil à une forme d'innocence, affranchissement par le regard et les sens du poète à toute forme d'asservissement, l'instant précieux vacille encore à la fin du poème par un aveu d'échec : « Au réveil il était midi ». Retour prosaïque au réel, réveil amer et non plus éveil poétique dont l'auteur envisage désormais la vanité, avant de devenir trafiquant d'armes, le voyageur infatigable quitte les hautes terres de la poésie littéraire, mais demeure, résolument, voleur de feu...

            C’est que le « Génie » de ce Poète, pour reprendre le titre du dernier des poèmes en prose des Illuminations, comme le présente René Char, ne s’est voulu ni modèle, ni guide, et ne souhaite de ses lecteurs, volonté de liberté suprême, que de s’en affranchir : « Chez Rimbaud, la diction précède d’un adieu la contradiction. Sa découverte, sa date incendiaire, c’est la rapidité. L’empressement de sa parole, son étendue épousent et couvrent une surface que le verbe jusqu’à lui n’avait jamais atteinte ni occupée. En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps. Mais tout ce qu’on obtient par rupture, détachement et négation, on ne l’obtient que pour autrui. La prison se referme aussitôt sur l’évadé. Le donneur de liberté n’est libre que dans les autres. Le poète ne jouit que de la liberté des autres. »

               Photographie d'Arthur Rimbaud (en octobre 1871, à 17 ans, par Etienne Carjat)

 

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