Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Gérard de Nerval, le rêveur inconsolé

           « Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, / Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie : / Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé / Porte le Soleil noir de la Mélancolie. » : tel un oxymore tiraillé entre ténèbres et clartés, ainsi se présente le poète dans son recueil fondateur de 1854, Les Chimères, dont l’alliance des textes, du « Christ aux Oliviers » à « El Desdichado », trace la secrète et douloureuse galerie d’ombres à travers lesquelles le héros se perd, dans le feu des fulgurances d’images contrastées, concentrées à l’extrême jusqu’à l’hermétisme. Le dessein autobiographique s’y lit, dans l’expérience de la folie, joignant significations et formes nouvelles de celui que Charles Baudelaire et André Breton, à sa suite, tiendront en maître du « surnaturalisme ». Sa créativité s’y exerça en cinq années héroïques et géniales, de 1850 à 1855, précipités et convulsions de l’écriture que l’auteur organisa en un volume : Voyage en Orient, en 1851, Lorely, en 1852, Petits Châteaux de Bohème, Sylvie, en 1853, Les Filles du feu, Les Chimères, en 1854, Aurélia et Pandora l’occupant également en 1854 alors qu’il n’aura que le temps d’achever Promenades et Souvenirs, en 1855…

            Le surmenage et la misère auront transformé Gérard de Nerval en marginal. Dans cet hiver 1854-1855 on ne lui connaît plus de domicile fixe. On le trouve pendu, rue de la Vieille Lanterne, le 26 janvier 1855. Mais le désespoir de l’issue ne saurait faire oublier le formidable théâtre de création de figures élaborées par son sillon ! En rat de bibliothèque et en conteur, il n’a eu de cesse de se chercher dans le kaléidoscope des symboles et des mythes, tandis qu’en mélancolique tourné vers les souvenirs, il a composé l’image grandiose de son passé, de l’enfance, du Valois, de l’amour, et en poète du rêve, il s’est avéré ce découvreur qui a fait de sa folie le flux souterrain et fascinant des songes innervant ses écrits. Comme le résume A. Michel, dans son article du Dictionnaire universel des littératures : « La poésie ne naît pas du seul abandon à l’imaginaire : la descente aux enfers est désastre si Thésée et Orphée n’en soumettent pas les monstres. La poésie est maîtrise de la folie. »

            C’est de cette victoire sur lui-même que naissent Les Filles du feu, recueil de 1854 comprenant six nouvelles dont la plus célèbre reste Sylvie. Jemmy, récit imité de l’allemand, ayant pour cadre la région de Belle-Rivière aux États-Unis, se lit comme une pittoresque peinture des mœurs des colons d’Amérique au début du XIXème siècle. Octavie ne s’avère guère autre chose que la brève notation de quelques souvenirs plus ou moins galants de l’auteur, obsédé par l’actrice Jenny Colon, dont il s’était éloigné pour chercher l’oubli en Italie. Émilie se veut l’histoire d’un jeune officier des armées de la République qui épousa, en Alsace, une jeune fille de famille Allemande et apprit un jour qu’il avait tué dans un combat le père de celle-ci. Angélique relate dans une suite de douze lettres mille choses sous prétexte de faire connaître les recherches effectuées dans diverses bibliothèques de Paris et de la province, pour trouver un ouvrage précis et précieux, dont il a éminemment besoin : à travers sa quête, il consulte des archives d’où il tire toutes sortes d’histoires singulières ou fantastiques et essentiellement celle de la belle Angélique de Longueville…

            Venons-en à Sylvie qui peut être considérée comme son chef-d’œuvre, dans lequel on retrouve Gérard de Nerval épris d’une actrice à qui il n’osa déclarer sa flamme, qu’il nomma Aurélie, mais il s’agit encore de Jenny Colon. Apprenant un soir qu’un autre a ses faveurs, en quelques mots lus au parcours nostalgique d’une gazette, il songea à son enfance écoulée dans la campagne du Valois. Le désir lui vint alors de revoir les « hameaux » d’autrefois. Il loua en pleine nuit une voiture et se fit conduire à Loisy. Pendant toute la durée du trajet, il évoqua ses innocentes amours avec la brune Sylvie, jeune dentellière du village, brûlant de la revoir et peut-être de l’épouser. Se rappelant cependant que son idylle avait été troublée par le souvenir de deux rencontres avec la blonde Adrienne, jeune châtelaine, depuis lors entrée en religion, et qui, à l’époque, dans ses rêves, était opposée à Sylvie, comme la chimère à la réalité. Le récit s’achève, plusieurs années plus tard, par le témoignage d’une des visites que le narrateur, maintenant détaché, fait, de loin, à ses amis de Dammartin, assistant au paisible bonheur de Sylvie et du « Grand Frisé » auquel elle a été fiancée. C’est de cette dernière qu’il apprend qu’Adrienne est morte au couvent… Par la fraîcheur des sentiments, par la poésie des descriptions et par la délicatesse du réalisme, ces pages exquises quintessencient Sylvie en nymphe des bois, image de la « douce réalité » de ce conte pourtant « doux-amer » !

            (Photographie de Gérard de Nerval par Nadar)

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :